vendredi 21 novembre 2014

La mort en série des hauts officiers des FARDC : Nécessité d’appliquer le « profilage » victimologique

Dans cet article  que vous pouvez suivre sur ce lien, http://desc-wondo.org/la-mort-en-serie-des-hauts-officiers-des-fardc-necessite-dappliquer-le-profilage-victimologique/#comment-657 Il ne s’agit pas seulement de s’opposer à Kagame mais aussi de s’en prendre à son représentant en RDC : Joseph Kabila.



Par Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Après la disparition surprise du Général Lucien Bahuma, commandant de l’ancienne 8ème région militaire à Goma, nombreux sont des observateurs qui n’ont pas hésité à établir le lien entre cette disparition et celle des autres officiers congolais qui s’étaient distingués dans la mise en déroute des rébellions pro-rwandaises.
Au total on compte deux Généraux, et pas des moindres, Bahuma, cité ci-haut et Félix Mbuza Mabe Nkumu Embanze, ainsi que le colonel Mamadou Ndala.
Le récent décès du sergent-major Arsène Ndabu Ndongala, chauffeur du Colonel Mamadou Ndala, le 2 octobre 2014 au moment où venait de s’ouvrir la veille le procès Mamadou Ndala à l’ouverture duquel il venait de faire une déposition contredisant sa première déclaration lors de l’enquête judiciaire, suscite beaucoup d’interrogations de nature à conforter la thèse de l’existence d’une main noire qui se trouverait derrière toutes ces disparitions inexpliquées. Surtout que les déclarations du sergent-major Ndabu , principal témoin de l’assassinat du Colonel Ndala, laissait présager qu’il en savait trop et pouvait « en dire plus » sur les circonstances troubles de la mort de Mamadou Ndala.
Lorsque les FARDC, aidées par la brigade d’intervention de la MONUSCO ont mis en déroute le M23, après une première tentative ratée de rappel du colonel Ndala à Kinshasa, nous savions qu’il allait être éliminé.
Dans le viseur de Kagame, dont l’occupation du Grand Kivu reste son obsession, il y avait la MONUSCO, le colonel Ndala, le général Bahuma et le général Olenga. Il n’est pas étonnant qu’à la suite de la débâcle du M23, une des premières revendications de Kabila était d’exiger (à Kingakati-Buene) le départ de la MONUSCO. D’autant plus que pendant les moments forts de la guerre, les relations entre Kobler, le nouveau chef de la MONUSCO, et Kagame étaient devenues exécrables. Si Kinshasa justifie son exigence du départ de la MONUSCO du fait de la soi-disant montée en puissance des FARDC (impuissantes avec le Général Mundos à Beni et incapable de sécuriser le Katanga…), en réalité les motivations sont à trouver dans la détermination de Kobler de mettre fin aux groupes armés dont plusieurs rapports d’experts et notre ouvrage, Les Armées au Congo Kinshasa, ont démontré la collusion avec des hauts officiers de l’entourage de Kabila.
Pourquoi le recours à la victimologie pour comprendre les mobiles des disparitions de ces trois officiers et d’autres militaires ?
C’est parce qu’en criminologie, s’est développé depuis les années 1980 le profilage (ou profiling en anglais) appliqué à la victimologie.
Les experts du profilage (profilers) criminel, c’est-à-dire des professionnels qui essaient de déterminer le profil du criminel, dans les crimes violents ont recours à une multitude de ressources disponibles pour identifier les auteurs des crimes. L’une de ces ressources est la victime du crime.
La question de savoir et d’analyser comment une victime décédée peut-elle aider les enquêteurs ?
La réponse à ce postulat de départ peut se reposer dans une technique appelée « victimologie« .
La victimologie en elle-même est un domaine bien plus large, mais une certaine approche de la victime et du crime (psychologique, criminelle, clinique, etc.) peut permettre de créer une image mentale assez exacte de l’agresseur.
Dans l’étude du cas sous question, en analysant les mobiles des décès de ces trois hauts gradés des FARDC et même du chauffeur de Ndala, l’on aperçoit que malgré les différences des causes de leur décès, toutes les victimes (hormis le Sergent-Major Ndabu) avaient plusieurs dénominateurs communs:
- Ils étaient tous officiers commandants dans les deux Kivu.
- Ils ne faisaient pas partie du RCD-Goma allié au Rwanda avant le brassage : Bahuma et Ndala étaient issues du MLC de l’opposant JP Bemba, farouche adversaire de Kabila.
- Mbuza Mabe était un ancien des FAZ (Forces Armées Zaïroises) et de la composante loyaliste FAC (Forces Armées Congolaises) et dans cette disposition, il a combattu tour à tour l’AFDL , le RCD-Goma et le CNDP, des rébellions créées par le Rwanda.
- Tous les trois étaient parvenus avec succès à contenir les assauts des rebellions pro-rwandaises et à les bouter hors du territoire congolais.
Comme l’écrit Jérôme Kengawe, analyste militaire de DESC, dans notre ouvrage à paraître finalement en début 2015, une analyse minutieuse de l’action du Rwanda en RDC prouve que Kagame perd du terrain en RDC. « En réalité, la défaite de Kagame a commencé en 1998, c’est depuis cette date que Kagame perd du terrain au Congo. En effet, avec l’AFDL, il contrôlait tout le Congo, James Kabarebe, l’actuel ministre de la défense du Rwanda, fut chef d’état-major général des forces armées congolaises, (malgré qu’il était de nationalité Rwandaise), les FAC. La création du RCD (Rassemblement des Congolais pour la Démocratie) lui a permis d’occuper le Grand Kivu, une partie de la province orientale et du Katanga, soit un tiers de la superficie du Congo, nous constatons que l’espace a fortement rétréci. Entre 2006 et 2009, Nkunda et son CNDP se sont contentés de Rutshuru et de Masisi. Par ailleurs, le dernier avatar né de l’imagination de Kagame, le M23, n’a régné que sur la moitié du territoire que le CNDP contrôlait. Enfin comme symbole de l’échec de son rêve Congolais, les derniers fidèles de la bande à Makenga (M23) en sont arrivés à ne défendre désespérément que trois collines adossées au Rwanda dans les derniers jours des combats contre les FARDC et la Brigade d’intervention de la Monusco. Dans ses délires expansionnistes, Kagame voulait créer une zone tampon du côté congolais pour protéger le Rwanda des incursions des FDLR et des Interhamwe. Ironie de l’histoire, son armée se bat, maintenant, à sa frontière pour protéger ses vaches et ses bananes dans la colline de Kanyasheja II depuis juin 2014 » .
En effet, cette victoire, une première pour la RD Congo depuis 1996, est historique comme le disait le chercheur américain, spécialiste du Congo, Jason Stearns : « Pour la première fois depuis 1996, le Rwanda ne disposait plus d’un groupe armé allié au Congo ». En réalité, selon notre analyse, la portée de cette défaite est encore plus large, car pour la première fois depuis 1996, les troupes Rwandaises ne sont plus déployées au Congo-Kinshasa. Il ne faut surtout pas ignorer que la population congolaise n’a jamais admis la présence de ces troupes sur le sol Congolais depuis 1996. Une situation qui éloigne peu à peu le rêve de Kagame de créer un Tutsiland englobant la partie orientale de la RDC.
En conséquence, n’étant pas parvenu par la guerre, Kagame a choisi de cibler des personnalités qui, à ses yeux, font échec à son ambition ethno-hégémonique démesurée.
C’est ainsi que comme nous avons pu le démontrer lors de la 2ème guerre d’agression du Congo (1998), la coalition rwando-ougandais et anglo-saxonne contre Mzee LD Kabila n’étant pas parvenue à vaincre militairement les FAC, c’est vers l’élimination physique ciblée qu’ils ont trouvé la parade en utilisant plusieurs généraux qui forment le pré-carré sécuritaire de Joseph Kabila. Cela donne déjà une indication majeure sur l’importance que ce dernier représente pour Kagame.
Ainsi, à la suite de l’assassinat de Mzee Laurent-Désiré Kabila, tous ceux qui ont constitué un obstacle au projet expansionniste de Kagame en RDC sont soit neutralisés et éliminés systématiquement. Il ne s’agit pas seulement de s’opposer à Kagame mais aussi de s’en prendre à son représentant en RDC : Joseph Kabila. Augustin Katumba Mwanke en a probablement payé le prix. Et lorsque les câbles wikileaks américains ont dévoilé que le Général John Numbi (ancien patron de la police nationale) nourrissait une nette ambition et qu’il était le seul officier des FARDC capable de mener un coup d’état contre Kabila, fort de ses redoutables bataillons Simba et Cobra, de triste mémoire dans le double assassinat de Chebeya et Bazana, c’est ce moment qu’il sera victime d’un crime parfait, conçu depuis Kigali, pour l’indiquer comme étant le criminel n°1 de ces forfaitures. Toutefois, Kabila et son système se sont abstenus de condamner Numbi. Ils se sont limités de le neutraliser en le mettant hors d’état de nuire, politiquement et militairement en l’éloignant du commandement des troupes, sans toutefois lui perdre ses avantages financiers et sociaux de peur de mécontenter les Katangais qui l’adulent. Car c’est au Katanga que Joseph Kabila s’est constitué un réservoir électoral par filiation.
Pour comprendre les raisons de cet écartement, il suffit d’identifier à qui a profité toute cette mise en scène criminelle ? Le général Charles Bisengimana, l’ex-rebelle RCD, un autre boucher de l’Est, responsable de pires massacres du temps du RCD et allié stratégique de Kagame aux côtés de Kabila a succédé à Numbi. Et les jeux deviennent de plus en plus clairs.
Parmi les obstacles aux multiples initiatives de Kagame, il y avait naturellement nos trois défunts officiers cités plus haut qui avaient des similitudes sus-énumérées. Ces similitudes devraient offrir aux investigateurs des indications sérieuses et des indices concernant le commanditaire de leur assassinat.
Comment procède-t-on en victimologie?
Des informations sont collectées grâce à l’étude des victimes, la « victimologie » : l’examen de chaque facette du style de vie des victimes, leur passé, leur santé, leur profession, leurs caractéristiques physiques, leurs habitudes, leur personnalité… En apprenant le plus possible sur les victimes, on peut en savoir un peu plus sur le(s) commanditaires de leur assassinat. Très souvent, les enquêteurs dans leurs investigations privilégient la recherche des éléments pouvant lier les victimes : les points communs ou dénominateurs communs.
Ainsi, la victimologie dans sa forme la plus simple est l’étude de la ou les victime(s) d’un agresseur unique.
Elle est définie comme « l’étude complète et l’analyse des caractéristiques de la victime » (Brent Turvey), et peut aussi être appelée « profilage » de la victime » (R. Holmes).
  • De la sorte, la victimologie peut  aider à collecter des informations et à orienter les investigations trois aspects principaux qui peuvent être fournis par : 
    le contexte du crime pour lequel une personne déterminée est victime, de son environnement socio-professionnel;
  • connexions sociales et professionnelles de chaque victime mais les connections interactionnelles directes ou indirectes éventuelles entre ces victimes. Il s’agit de déterminer ce qu’ils avaient comme caractéristique commune: Comme nous l’avons dit plus haut, ils ont tous infligé une cinglante défaite aux troupes pro-rwandaises.
  • l’orientation de l’enquête devant permettre de dresser un portrait-robot type des assassins ou des commanditaires et des mobiles de l’assassinat. Pour notre cas sous analyse : c’est vers le Rwanda et ses éléments de la cinquième colonne déployée dans les institutions nationales et dans les services de sécurité congolais qu’il faut chercher les responsables. C’est là précisément qu’il faille orienter les enquêtes.
Cette analyse de cas appliquée à la criminologie montre que la victimologie est importante dans le processus d’investigation parce que non seulement elle indique comment était (et qui était) la victime, mais elle fournit également des informations qui aident à comprendre pourquoi elle a été choisie comme victime. Dans bien des situations, l’agresseur va se retenir jusqu’à ce qu’il rencontre la victime qui correspond parfaitement à ses besoins, lui permettant de réaliser et de satisfaire ses fantasmes et ses désirs. La manière dont est choisie la victime est donc importante et donne un aperçu des pensées de l’agresseur, qui affectent la manière dont il agit.
Si nous sommes capables de déterminer comment l’agresseur a agi, nous serons peut-être capables de déterminer son comportement futur, ce qui pourrait mener à son arrestation. En comprenant comment et pourquoi les victimes étaient choisies, on peut enfin établir une « relation » entre les assassins et les victimes. Les autres liens que l’on peut trouver peuvent être les collègues de travail, les liens géographiques (le voisinage), les liens liés aux hobbies (club de loisirs…) ou les liens sociaux. Le procès de l’assassinat du Colonel Mamadou Ndala, ainsi que le mystérieux décès de son chauffeur, principal témoin au procès, viennent conforter notre analyse. Le nombre de liens possible est infini, aussi une bonne analyse victimologique est-elle essentielle pour les resserrer.
Qu’est-ce que le profilage criminel?
Le profilage psychologique en matière criminelle est l’étude des caractéristiques et traits du fonctionnement des criminels qui les différencient de la population générale, ainsi que l’étude de preuves afin d’en déduire les possibles suspects dans un crime. Mais les intitulés et définitions peuvent être différents , ainsi selon les auteurs on entend parler :
de profilage de personnalité criminelle ou profilage psychologique : C’est une tentative de fournir des informations spécifiques sur le type d’individu qui aurait commis un crime
d’analyse d’investigation criminelle ou profilage comportemental : C’est une tentative d’analyse d’investigation afin de cerner les caractéristiques de personnalité de l’agresseur
de profilage criminel ou profilage d’agresseur ou profilage médico-légal : C’est l’utilisation de preuves ou d’informations en sciences forensiques concernant les circonstances de la commission un crime afin de cerner l’état mental et les traits de personnalité d’un agresseur dans le but de d’obtenir son style de vie et des données d’identification en vue de son identification.
C’est sur base de ces éléments qu’on peut faire des prédictions. C’est la raison pour laquelle les noms du général François Olenga et du Lt-Col Olivier Hamuli sont de plus en plus cités comme prochaines victimes. L’indice le plus récent est la mort brutale du colonel Marc Mukaz, le bras droit de Olenga en pleine réunion au ministère de la Défense nationale avec une délégation tanzanienne. Il a brusquement succombé de suite d’une rupture d’anévrisme. Même si pour Olenga, il est actuellement un mal nécessaire pour le Rwanda dans la mesure où il est l’un des trois hauts officiers des FARDC sur lequel Kabila compte pour sa sécurité en RDC. N’oublions pas qu’à l’heure actuelle Joseph Kabila reste le meilleur atout du projet Rwandais en RDC. Les analyses de DESC (Wondo et Musavuli) l’ont démontré à maintes reprises . Et Olenga surf sur ce double jeu antinomique : il déteste les Tutsi de l’oligarchie de Kagame tout en développant une relation fusionnelle avec leur allié Kabila au Congo. Mais la corde raide pourrait un jour se rompre. C’est là qu’il y aura encore des pleurs et des grincements de dents en RDC.
Il faut rappeler ici que le profilage est une technique utilisée uniquement a posteriori du passage à l’acte (après l’acte de prise d’otages, après l’agression ou un assassinat).
Quels peuvent être les apports du profilage criminel ?
C’est une aide  à l’orientation de l’enquête, à l’action des forces d’intervention, à la décision dans le processus d’enquête, à l’interrogatoire des suspects, au procès (compréhension des motivations), à la prévention et à la dissuasion (plus tôt l’agresseur est interpellé, moins il y aura de victimes à l’avenir). Le profilage victimologique aide surtout à la prédiction a posteriori d’un premier passage à l’acte (prochaine victime potentielle, … ) chaque fois que l’on sera confronté aux circonstances similaires.
Le recours à cette technique est recommandé en RDC pour pertemttre de mettre en place des mesures préventives efficaces : renforcer la sécurité des officiers chargés de traquer ces rébellions à base rwandaise,  extirper des FARDC tous ceux qui sont censés manifester une complaisance envers ces rébellions, etc.

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